Le matin à bord du Belem, tout est silencieux.
Celles qui ont fait leur quart de nuit récupèrent, tandis que d’autres sont sur le pont. Ainsi, la journée a démarré à 4h pour notre quart, sous un ciel un peu couvert. Conversation à bâton rompue avec Géraldine qui profite de cette nuit noire pour nous raconter des histoires effrayantes à « faire crier les gazelles »… et ça marche !
Chaque moment de pause est l’occasion de prendre conscience de la symbiose entre le bateau, la mer et le vent. La misaine se soulève sans à-coup puis revient et se soulève encore, telle une respiration apaisante et à la fois puissante. Et tout autour, la douce musique des vagues qui nous envahit. Eve organise une petite séance de yoga matinal pour nous étirer en douceur pendant l’heure de veille. La lumière du matin est propice à une certaine sérénité et rien ne se signale à l’horizon. Le radar reste muet. Yann, gabier, a choisi une méthode d’étirement plus brutale. Un peu bloqué, il nous demande notre aide et le voilà « décoincé ». C’est la conséquence de la vie en autonomie. A bord, il faut savoir tout faire, y compris se soigner.
Sur la dunette, le commandant nous débriefe des manœuvres de la veille. Nous nous repérons sur la carte et constatons que la route est encore longue jusqu’aux Canaries – nous ne sommes pas encore à la moitié du chemin… Il faudrait que le vent forcisse un peu sinon le moteur risque d’être mis à contribution...
Après le déjeuner vient le moment de raconter notre journée de la veille. Séance collective de lecture, le commandant s’amuse de nous entendre raconter nos impressions. « Doux Jésus, Julie, à bord d’un navire nous ne parlons pas en km mais en miles ». Nous sommes constamment dans l’apprentissage. Les gazelles posent beaucoup de questions à l’équipage et tous répondent avec patience. Ils nous taquinent souvent, nous racontent leurs histoires de marin et s’amusent de nous raconter des anecdotes vécues sur le Belem. On ne résiste pas à partager l’anecdote suivante. Un membre d’équipage nous raconte qu’il y a des années, sur un stage, l’équipage avait positionné un point au hasard sur la carte et fait croire aux stagiaires qu’il s’agissait du relai poste maritime. Par une heureuse coïncidence, le Belem avait, quelques milles plus loin du point, croisé la route d’une bouée jaune (indiquant en réalité tout autre chose). Une aubaine. Les stagiaires s’étaient rués sur les cartes postales et l’espiègle équipage de mettre à l’eau le zodiac pour aller jusqu’au bout de la supercherie. Une fois à la bouée, coïncidence encore, ils découvrent les initiales MP… Maritime Post… et reviennent avec le sac contenant les cartes postales vide. Ils ne leur ont avoué qu’une fois à terre que les cartes avaient été postées dans une boite à lettre classique…
Pendant ce temps, Laura s’improvise coach sportif pour un training de renforcement musculaire sur le pont. En musique ! Objectif zéro kilo supplémentaire. Parce qu'à bord du Belem, le moins qu’on puisse dire est qu’on ne se laisse pas mourir de faim. Il parait même qu’il faudrait qu’on limite notre consommation de fruits au goûter… Les gazelles seraient-elles des espèces frutivores ? Nous avons quand même une petite réclamation à faire au commandant : le Nutella nous manque… Il prend bonne note.
Je suis à la barre depuis presque une heure, le bonheur, mais nous n’allons toujours pas dans la bonne direction… Les gazelles semblent irrémédiablement attirées par le Maroc… Un virement vent devant est lancé, dont le succès dépend beaucoup de la rapidité d’exécution et du sort « A Dieu Vat ». Heureusement, belle manœuvre rondement menée avec toutes les gazelles motivées et plus synchronisées que jamais après le topo de Pierre sur maquette auquel nous avons « presque » tout compris.
On enchaîne sur un insolite défi des Belemiades : le lancer de pommes de touline. Amarrées au pont du gaillard, il s’agit de les jeter le plus loin possible. Yann nous coache.
18h30, branle-bas de combat, le mauvais temps arrive, l’horizon s’obscurcit, nous devons rentrer des voiles au plus vite avant la pluie. Le vent forcit un peu, Thomas et Géraldine se perchent sur les vergues.
Dîner sympathique. Désormais les membres d’équipage se répartissent au milieu des gazelles et conversations et rires vont bon train. Alors qu’on remonte pour un dernier bol d’air avant la sieste (et oui, nous sommes de quart de minuit à 4h), j’en profite pour tenter de soudoyer Yann sur l’heure de lever du soleil. C’est alors que je croise la route de Mathieu qui nous embauche pour brasser carré le grand phare… En fait le début d’un virement de lof pour lof, l’autre moyen de virer de bord pour le Belem. Christine, Virginie, Morgane et moi, qui étions plutôt parées à aller nous coucher, nous retrouvons à brasser de bon cœur, sans cirés, sous la pluie fine, la majorité de l’équipage étant encore au dîner. On rit, on sèche, félicitées par Mathieu qui rappelle que dans équipage il y a équipe, et qu’on vient de démontrer un bel esprit de solidarité. Ravies, nous partons finalement regagner nos bannettes. Le quart suivant enchaîne sous une pluie battante, une expérience de plus du quotidien des marins, parfois un peu éloigné des images d’Épinal.